Constantin de Slizewicz, écrivain, reporter français et amoureux des grands espaces, s’installe, il y a de cela dix ans, au cœur du Yunnan sur les marches du Tibet. Il part alors sur les traces des grands explorateurs, tel que le renommé Louis Liotard et explore les confins de la Chine.
Il nourrit alors le rêve de partager et de faire renaître le goût pour l’élégance des voyages d’exploration et crée les « Caravanes Liotard ».
Partenaire privilégié de Club Faune Voyages, Constantin a accepté de partager avec nous un peu de sa vie…
Voyageur dans ma jeunesse, je suis devenu quasi sédentaire à Shangri-La ! Originaire du Sud-Est de la France, c’est à l’âge de dix-neuf ans, en 1996, à l’occasion d’un stage en école de commerce que j’ai découvert Pékin. Je n’avais jamais songé à la Chine. J’ignorais tout de ce pays : le nom de ses villes, l’étendue de sa géographie, la complexité de son histoire, le mystère de ses alcools, ses poètes, mais surtout, son humanité…
Lors de ce séjour initiatique, je suis resté trois mois dans la capitale. “ L’aventurier est celui qui fait arriver les aventures, plus que celui à qui l’aventure arrivent ” écrivait le maître situationniste Guy Debord. Après ce bref intermède chinois, j’ai voulu récidiver ! J’ai réussi à convaincre la direction de mon école de repartir une année à Pékin afin d’apprendre à l’université le mystère des caractères chinois. Avant la fin de mes études j’y suis retourné régulièrement durant deux années. Ces voyages avaient toujours cette influence étrange. Je trouvais en Chine mon climat véritable, mon terreau naturel. Ne suivant pas la voie tracée par mes études en gestion, marketing et communication, je me suis dirigé vers l’hasardeux métier de photo-reporter.
Une fois diplômé, j’ai travaillé cinq ans pour les presses chinoise et française. Tout en vivant à Kunming, j’allais régulièrement explorer les campagnes de l’Ouest où vivent les ethnies chinoises. Cette rencontre avec ce monde rural où je partageais mes journées avec ces peuples usant de bon sens, m’a fait comprendre que la vie matérielle m’importait peu. C’est après ces années de voyages afin de réaliser des reportages, qu’est née l’envie de ne plus être spectateur mais acteur. Inspiré des héros des romans de Joseph Conrad et des films de Warner Herzog, murissait le désir intense de vivre mon rêve. Magnétisme de la culture tibétaine, mon choix de voyageur était de me fixer sur cette terre spirituelle : habiter une ferme traditionnelle dans la campagne de Shangri-La, devenir caravanier aux Portes du Tibet.
Je ne connaissais presque rien de la Chine et rien ne me prédestinait à aller dans ce pays. En 1996, la découverte de Pékin, la grande impératrice qui n’avait pas encore été massacrée par les bistouris des bureaucrates, fut un véritable choc. Les pékinois que j’ai rencontrés brûlaient d’une fièvre tel les espagnols durant la Movida, un état d’esprit chargé de folie qui concordait parfaitement avec mes origines slaves et mes aspirations de jeunesse. A la fin des années quatre-vingt-dix, après quelques pérégrinations dans l’ouest de l’Empire céleste, le Yunnan est devenu ma région préférée.
Situé à l’extrême sud-ouest de la Chine, en frontière avec le Vietnam, le Laos, la Birmanie et le Tibet, le Yunnan – littéralement “ le pays au sud des nuages ” – est incontestablement, aux plans géographiques, climatiques et culturels, le carrefour de cette partie du monde. Avec une superficie égale aux deux-tiers de la France, cette province rassemble des paysages les plus variés, allant des jungles exubérantes du Xishuangbanna aux sommets vertigineux des Marches tibétaines, de la forêt de pierre de Kunming aux rizières en terrasses de Yuan Yang, des eaux limpides du lac Lugu aux profonds canyons de la vallée du Mékong. Dans ces décors contrastés, je savais qu’il y aura toujours un soleil pour m’égayer. Harmonie suprême, le climat y reste tempéré. Durant trois cents jours par an, les températures moyennes oscillent entre dix et trente degrés. Aussi son chef-lieu, Kunming, est-elle surnommée “ la ville du printemps éternel ”.
Vivant à proximité de cette nature encore sauvage, je pouvais facilement partir vers des sentiers inconnus, avoir recours aux clairières. L’éloignement et l’isolement du Yunnan du reste de la Chine, l’avait en partie préservée des drames écologiques provoqués par ce fulgurant et aveuglant taux de croissance. Parcourant ces campagnes plantureuses, gravissant des montagnes, je découvrais des vallées ; ces bijoux où se concentrent des lopins de terre toujours cultivés à la cadence du buffle et du yack. Suivant les rivières de ce pays de cocagne, la nuit naissante j’abordais hameaux et villages. Si l’on ne m’avait pas jeté de pierres, je m’invitais chez ces peuples qui vivaient comme devraient être les hommes. Sous leurs toits en chaume, en ardoise ou en bardeau, que ce soit chez les Yi, les Tibétains ou les Wa, autour de ce feu, toujours le même mais à chaque fois nouveau, répétant leur langage archaïque, j’apprenais à lever mon verre. En buvant leurs grossiers alcools, invincible charme, j’oubliais le goût amer de leurs misères et ensemble nous chantions nos hymnes à la vie.
En mars 2005, lassé de ma vie en ville, je décidais de quitter Kunming pour m’installer sur les bords du Lac Lugu, le pays du peuple Mosuo. J’y suis resté deux années pour gérer une maison d’hôtes dans laquelle, durant l’hiver, je trouvais la quiétude et le temps pour la rédaction de mon premier livre, Les Peuples Oubliés du Tibet. En 2007, petite trêve avec la Chine, un retour en France s’imposait pour écrire deux autres livres : Les Canonnières du Yang Tsé Kiang et en 2010, Ivre de Chine, mais surtout lancer les fondations des Caravane Liotard à Shangri-La.
La première fois que je me suis rendu à Shangri-La ce fut en 1999, j’avais vingt-deux ans, la ville s’appelait encore Zhongdian et c’était une petite bourgade où les locaux accrochaient leurs chevaux à l’entrée des magasins. J’ai lors de cette première rencontre, su que ma vie allait un jour se diriger vers ce monde tibétain qui me semblait étrangement si familier. Tel une plante, la graine était en terre, le temps l’a faite germer. Aujourd’hui l’arbre porte ses fruits. Tel un port, Shangri-la est l’endroit parfait pour lancer des appareillages vers cet océan de montagnes qu’est l’univers tibétain. J’ai eu la chance il y a six ans de pouvoir louer pour vingt ans une vieille et solide ferme tibétaine située dans une magnifique campagne à une demie heure de Shangri-La.
Avec mon épouse Phoebe nous l’avons restauré et aménagé et maintenant avec notre fils Konrad nous y vivons depuis cinq années. La Ferme Liotard est le lieu de départ de nos caravanes de chevaux. C’est avec mes amis villageois tibétains de Zuomogu et aidé par mon équipier Guillaume de Penfentenyo que nous proposons à nos hôtes ces randonnées vers les sommets magnifiques du massif d’Aboudje. Notre souhait est de proposer un plus (matériel et culturel) dans ce monde rural tibétain en pleine mutation. L’idée de la caravane est de pouvoir transmettre aux jeunes générations l’art du bat et de l’accompagnement des chevaux en montagne mais aussi de se re-approprier ces territoires en alpage. Grâce aux caravanes est née une certaine fraternité avec les tibétains de notre vallée. Ce sont nos voisins, nos amis avec qui nous partageons joies et peines. Nos liens sont forts et emprunts d’honnêteté.
L’idée des Caravanes Liotard a pris naissance en 2006 durant l’écriture de mon premier livre, lorsque je parcourais les ouvrages des explorateurs tels Guibaut et Liotard, Bacot, d’Orléans, d’Ollone, Rock, Forest, Ward… Secrètement je jalousais ces voyageurs de grande classe et le désir des Caravanes Liotard fut de pouvoir ressusciter l’élégance de leurs voyages d’exploration en terre tibétaine. Car c’est certain, pour atteindre et apprécier ces décors où les éléments n’ont jamais été assagis – plusieurs cols sont à plus de 4,000 mètres – la caravane traditionnelle reste la mieux appropriée : spacieuses tentes Bell en canvas, tapis, mobilier, poêle, vaisselle et argenterie, vins et alcools soyeux, chandeliers, cuisiniers… Par exemple, pour 8 hôtes, nous partons avec presque deux tonnes de matériel porté par plus de quarante chevaux et un équipage de vingt personnes… un minimum pour apprécier la féerie d’un campement à 3,700 mètres d’altitude et prendre la première place des plus belles nuits d’étoiles !
Nos amis muletiers, hommes et femmes, sont tous des agriculteurs tibétains originaires des vingt-deux familles de notre village de Zuomogu à Dabosi. Soucieuse d’un monde voué à disparaître, notre caravane perpétue la tradition de l’art muletier comme il était pratiqué sur la Route du Thé et des Chevaux. Une route plurimillénaire, surement la plus haute du monde, itinéraire commercial, qui reliait le sud du Yunnan et l’Ouest du Sichuan jusqu’à Lhassa. Sur plus de 2,500 kilomètres, des caravanes de chevaux et de mules, parfois des hommes, transportaient des briques de thé de la région de Pu’er au Yunnan où de Ya’an au Sichuan pour les échanger aux Tibétains contre du musc, des fourrures, du sel et des chevaux. Avec mon camarade Alexis de Guillebon nous sommes en train de rédiger un livre sur le thème de la Route du Thé et des Chevaux qui sera publié aux éditions Fayard.
Notre entreprise est dédiée à la mémoire de Louis Liotard, géographe français mort en 1940 dans une embuscade tenue par des tibétains Golock dans la région du Kham. Son compagnon de route, André Guibaut a laissé l’empreinte de deux livres racontant leurs expéditions en terre tibétaine. J’ai découvert ces récits au début des années 2000, lorsque je débutais mes explorations sur les Marches Tibétaines. La rencontre de ces ouvrages, Missions Perdues au Tibet et Noglo-Setas fut comme un testament qui a profondément marqué mon encrage ici, mais aussi l’écriture de mon premier livre.
Autre explorateur dont le charisme inspira le projet des Caravane Liotard est Joseph Rock, contemporain de Liotard et de Guibaut qui vécut presque trente années dans la région. Explorateur, botaniste et reporter du National Geographic, lors de ses voyages, Rock ne lésinait pas sur l’intendance de ses caravanes. Sur l’une de ses photos, on le voit entouré de « ses vingt-six mules et ses dix-sept hommes, accompagnés de cent quatre-vingt-dix soldats armés de fusils ». L’aventurier précise : « Vous avez besoin de montrer que vous êtes quelqu’un d’important pour pouvoir survivre dans ce monde sauvage. » Ces contrées, aussi fascinantes qu’inhospitalières, contraignaient les caravanes à se prémunir des dangers à l’aide d’hommes de main, d’armes et de dogues tibétains.
Durant nos caravanes, dites Premium ou Light – quatre jours – ou d’Exploration – dix jours -, en suivant les sentiers de la Route du Thé, à travers la beauté sauvage des Marches Tibétaines, nos hôtes se retrouvent totalement déconnectés de la spirale cannibale des mégalopoles. Passer le premier col, fini le brouhaha incessant du monde et les addictions aux technologies inutiles. Nos caravanes sont à rebours de cette modernité qui chaque jour aggrave le sort de notre planète. Oui, ici, dans les montagnes de Shangri-La, les hôtes sont en émerveillement avec le naturel, retrouve le silence et les joies d’être en famille, dans nos campements, autour du feu qui réchauffe le crépuscule, le temps s’est tout simplement arrêté.
Tout comme les mandalas de sable coloré méticuleusement dessinés puis volontairement détruits par le souffle d’un moine, les campements des Caravanes Liotard sont éphémères. Au matin, durant deux heures, les tentes sont démontées, les ustensiles retrouvent leur place dans les caisses, les tapis sont roulés et remis sur les selles. La caravane de chevaux reprend sa route. Derrière : aucune trace, seul l’empreinte des souvenirs tatouée dans les cœurs. Là se cache la vérité de Shangri-La dans cette communion au sommet entre hommes, bêtes et dieux.
Située à une demie heure de Shangri-La, au cœur de la vallée bucolique de Dabosi, à l’orée du village de Zuomogu, la ferme Liotard est le nom de la « maison forte » dans lequel nous vivons. Pour les hôtes n’ayant pas le temps ou la capacité de partir en caravane, nous y proposons un Camp Fixe. Les tentes de se campement ont toute l’élégance, la magie et le confort de celles qui accompagnent nos caravanes. Mais aussi, au sein de l’enceinte de la maison, deux chambres d’hôtes – la Temple Room et la Cellule – offrant une atmosphère unique et chaleureuse avec leur poêle à bois, salle de bain attenante, décorations et peintures traditionnelles aux couleurs soyeuses. Les voyageurs séjournant à la ferme, peuvent la journée faire des ballades pour découvrir l’atmosphère agricole, religieuse et traditionnelle de la campagne tibétaine.
Notre maison tibétaine à su garder sa vocation de ferme, nous avons des cochons, moutons, poules, canards, nos trois chiens et bientôt un cheval. Phoebe mon épouse, originaire du Dorset, développa une entreprise de traiteur. Cuisiner reste sa passion. Repas servit dans la vaste et chaleureuse salle à manger décorées de peintures bouddhistes, au mobilier ancien, avec sa table élégamment parée à l’européenne : porcelaine, argenterie et candélabres. La Table d’Hôte de la ferme Liotard, tel les cottages du Dorset et nos adresses campagnardes françaises, propose un menu inspiré par les saisons et les produits locaux. Viandes – yack et cochons noirs du Yunnan – élevés dans notre vallée et les légumes provenant de notre potager ou du marché… service accompagné de vins de France, mais aussi de flacons incroyables originaires des coteaux du Mékong, à la frontière tibétaine. Nouveauté, depuis cette année Phoebe fait ses propres charcuteries de cochons et de yack : jambon, coppa, saucisson, chorizo, bacon, saucisse, pancetta …
Autre expérience que nous proposons, depuis bientôt trois ans avec mon partenaire Guillaume de Penfentenyo nous avons ouvert le Flying Tigers Café. Situé dans une maison en bois et ancienne de la vieille ville de Shangri-La, notre bistrot offre une atmosphère chaleureuse pour les voyageurs qui souhaitent apprécier un bon café du Yunnan, jus de fruits frais, cuisine dite de bistronomie composé de produits de qualités mais aussi des plats traditionnels des contreforts du Yunnan, avec évidement une grande sélection de vins, d’alcools et de bières locales ou occidentales.
En Chine, la question est vaste, je pense surtout à l’Ouest de la Chine avec la province du Tibet qui s’ouvre à nouveau, le sud du Gansu et du Qinghai, dite région de l’Amdo et l’Ouest du Sichuan dit le Kham Tibétain. Evidement le Yunnan avec les étapes incontournables de la Route du Thé comme les villages de Weishan, Dali est ses environs, Shaxi, les environs de Lijiang, le lac Lugu et surtout la région de Shangri-La entre ses montagnes, plateaux et vallées où coulent le Fleuve aux Sables d’Or, le Mékong et la Saluen dominés – 6,740 mètres – par le somptueux, légendaire et vénérable Kawakarpo.
Dakpa est né en Inde à Madhiya. Son père, caravanier tibétain de La Route du Thé, originaire de Shangri-La, a traversé l’Himalaya à l’époque du Grand Bond en Avant. En 1987, Dakpa est revenu à Zhongdian, il est un des premiers Tibétains en exil à revenir en Chine. Voyant le bouleversement engendré par cette ouverture galopante, il fonde avec le moine Khedrup le Tibetan Thangka Academy. Le but était de pouvoir préserver et d’enseigner aux Tibétains mais aussi aux étrangers le savoir, les techniques et les matériaux utilisés pour réaliser les Thangka, les peintures religieuses tibétaines.
Songtsen Gyalzur ou Sonny, né en Suisse de parents tibétains. Sa mère Tendol a monté à la fin des années 1990 les premiers orphelinats au Tibet. En 2005, elle pousse son fils qui a réussi dans l’immobilier en Suisse, à revenir vivre sur la terre de ses aïeux. En 2009 avec son cousin et d’autres partenaires suisses, ils créent à Shangri-La la première brasserie de bières artisanales de Chine, la Shangri-La Beer. Investissement de plus de douze millions d’euros, brassée avec de l’orge cultivé localement par les Tibétains, la Shangri-La Beer produit six différentes bières dont la Black Yack qui s’est vu décerner en 2016 une médaille de bronze lors de l’European Beer Star en Allemagne.
Concernant le Yunnan et les Marches Tibétaines, voici une petite liste de livres :
Bernard Allanic, La Voie blanche, entre Chine et Tibet, La Digitale, 1994.
Jacques Bacot, Le Tibet révolté, Phébus, 1997.
Alexandra David-Néel, Au pays des brigands gentilshommes, Plon, 1998.
Alexandra David-Néel, Voyage d’une Parisienne à Lhassa, Plon, 2001.
Laurent Deshayes et Frédéric Lenoir, L’Epopée des Tibétains, Fayard, 2002.
Auguste François, Le Mandarin blanc, Calmann-Lévy, 1990.
André Guibaut, Ngolo-Setas, J. Susse, 1947.
André Guibaut, Missions perdues au Tibet, André Bonne, 1967.
James Hilton, Les Horizons perdus, Les Mondes perdus, Omnibus, 1993.
Peter Hopkirk, Sur le Toit du monde, Piquier poche, 1999.
Cai Hua, Une société sans père ni mari. Les Na de Chine, PUF ethnologie,1998.
Yang Erche Namu et Christine Mathieu, Adieu au lac mère, Calmann-Lévy, 2005.
Constantin de Slizewicz, Les Peuples Oubliés du Tibet, Perrin 2007.
Constantin de Slizewicz, Ivre de Chine, Perrin 2010.